Ô vieillesse ennemie !

Nous sommes composés de 100 mille milliards de cellules. Vous, moi, et peut-être même Donald Trump. Sans compter les bactéries qui nous colonisent et participent à notre survie. Chacune de ces cellules, à quelques exceptions près, possède 23 paires de chromosomes, soit environ 25000 gènes. La totalité de votre code génétique, votre ADN. Le même qui était, il y a encore quelques années, issu de la fusion des gamètes de vos parents.

L’ADN, pour une cellule, c’est Wikipedia. Sans les trolls. C’est là qu’elle va piocher toutes ses infos pour faire des usines, des outils de communication, de contrôle qualité, des moyens de défense. C’est un savoir qu’elle transmet à sa descendance lors de la réplication. C’est la totalité de son histoire, passé, présent, futur. L’ADN, c’est son identité. Et pendant longtemps, on a cru que c’était là, et nulle part ailleurs, que se jouait le vieillissement d’un individu.

Barbara McClintock en 1947 ©Wikimedia Commons

Dans les années 1930, Barbara McClintock, une chercheuse américaine et futur prix Nobel de médecine en 1983, a découvert que les deux extrémités d’un brin d’ADN se comportaient bizarrement. Elle a mis le doigt sur quelque chose de cruciale : les télomères. Quiconque a déjà fait un peu de couture le sait : le plus fragile dans une pelote de fil, ce sont les extrémités. Et l’ADN n’échappe pas à la règle. Les télomères sont une séquence ADN un peu particulière à chaque bout, qui a un rôle primordial : protéger le reste de l’ADN. De plus, à chaque fois qu’une cellule se divise, son ADN doit être répliqué du début à la fin, pour qu’il soit identique dans la cellule mère et la cellule fille. Or, à chaque division, l’extrémité est un peu coupée. Pour éviter que cette coupure n’endommage le code génétique, ce sont les télomères qui sont élagués. Et malheureusement, ils ne repoussent pas !

Leonard Hayflick en 1988. ©ResearchGate

Dans les années 1960, Leonard Hayflick, a démontré que les cellules, suite aux raccourcissement des télomères, avait un nombre de division limité. Depuis, les chercheurs ont longtemps pensé détenir ici la clé du vieillissement. Comme une horloge biologique. Une fois la limite atteinte, les cellules cessaient de se diviser, et cela entrainait la mort progressive de l’organisme. On sait aujourd’hui qu’on ne sait que peu de choses, si ce n’est que les télomères jouent bien un rôle dans le vieillissement : celui de le ralentir. Leur existence permet à la cellule de stopper les divisions cellulaires, avant d’engranger un trop grand nombre de mutations.

SOS D’UN ADN EN DÉTRESSE

Alors quoi ? Que sait-on aujourd’hui du vieillissement ? Surtout qu’il s’agit d’un mécanisme complexe, et en partie aléatoire. Revenons-en à l’ADN. Puisqu’il est à l’origine de tout, ou presque, dans la cellule, il est essentiel qu’il soit protégé au maximum. 3,5 milliards de paires de bases, les fameuses ATCG, soit 1,9 mètre par cellule, ça ne se cache pas sous un pied de table.

Enroulement de l’ADN sous forme de chromatine. ©CCMD

La molécule d’ADN elle-même, en réalité, est issue d’une longue sélection. Sa structure en double hélice la rend particulièrement stable dans le temps. Mais surtout, l’ADN est compacté d’une manière dont nous n’oserions même pas rêver pour l’encodage de nos propres données. Il est enroulé autour de cylindres qu’on appelle des histones. Puis ces histones sont associées entre elles comme un chapelet de perles qu’on appelle la chromatine, et enfin compactées en un chromosome d’une dizaine de micromètres de long pour les plus grands.

Les chromosomes ne sont pas une bibliothèque poussiéreuse cachée bien au chaud dans le noyau. Ils constituent en réalité une banque de gènes extrêmement dynamiques, perpétuellement déroulés pour être lus et transcrits puis ré-enroulés, constamment modifiés chimiquement sous l’effet de différents inhibiteurs ou activateurs de gènes, voire complètement déroulés lors de la division cellulaire. Probablement en raison de ce dynamisme, l’ADN subit des dégâts. Beaucoup de dégâts. 10 000 fois par jour et par cellule. Il est en permanence assailli par des « attaques chimiques » comme les radicaux libres, ou physiques, comme les rayons UV. Des bases peuvent muter, se transformer de C en T, les brins d’ADN peuvent se briser, et des bouts de gènes peuvent se balader pour aller se fixer à d’autres endroits… Bref, la vie d’un chromosome est longue et semée d’embûches.

Pour cette raison, la cellule possède un système de réparation ultra-efficace. Si efficace qu’il est capable de tout réparer, ou presque. Il est même capable d’inventer du code si nécessaire. Mais malgré cela, personne n’est parfait et il arrive que des dégâts passent entre les mailles du filet. Petit à petit, ils deviennent trop nombreux pour être tous réparés. À force d’accumulation, ces ruptures et autres mutations empêche le bon fonctionnement de la cellule en atteignant des gènes vitaux pour la cellule. Au-delà d’un certain seuil de dégâts non réparés, soit la cellule se suicide, par apoptose, soit elle entre en sénescence, c’est-à-dire un état où elle bloque irrémédiablement ses capacités de reproduction, en attendant d’être recyclée.

IL N’Y A PAS QUE l’ADN DANS LA VIE

L’ADN n’est évidemment pas le seul à être soumis à ce stress permanent, cette lutte contre tous ces facteurs délétères. Toute la machinerie épigénétique est également menacée. L’épigénome, c’est justement ce qui donne tout son sens à l’ADN pour en modifier son expression. Bien sûr, comme on l’a vu, l’ADN est compacté pour des questions d’encombrement et de protection. Mais cela permet aussi de réguler sa lecture, en fonction des besoins et des circonstances. L’ADN est certes une base de données, mais toutes ces données ne sont pas utiles en même temps. Par exemple, un neurone n’a pas besoin des mêmes protéines qu’une cellule musculaire. Et donc pas des mêmes gènes ! Si le corps a un apport soudain en sucre, les cellules du foie vont devoir fabriquer toute une série d’enzymes pour l’absorber et le stocker, et donc lire les gènes codant pour ces enzymes. L’épigénome, c’est le conteur qui augmente ou diminue son débit de paroles, sa puissance, son expressivité.

Et ce conteur est soumis au même stress que l’ADN. Pire, puisqu’il est conçu pour ça, il répond également aux conditions de vie de la personne, comme le milieu, l’alimentation ou son style de vie. De vrais jumeaux, au patrimoine génétique pourtant identique, ne vieilliront pas de la même manière, car nous vivons tous différemment.

Avec le temps, tous ces mécanismes d’expression de l’ADN se modifient et deviennent moins efficace. Schématiquement, chez une personne jeune, l’ADN est étroitement verrouillé à tous les endroits qui ne sont pas nécessaires. Chez un sujet plus âgé, ces verrous ont sauté çà et là. Il en résulte un génome instable, plus prompt aux erreurs, et des gènes sont exprimés alors qu’ils ne devraient pas. Des protéines inutiles voire contre-productives sont créées, participant au vieillissement et à l’épuisement de la cellule.

En parlant de protéines, il y a là un facteur majeur du vieillissement cellulaire. Traduites de l’ADN, elles servent d’enzymes pour catalyser les réactions chimiques, de squelette pour la cellule, de récepteurs aux hormones en circulation dans le sang, voire d’hormones elles-mêmes, ou encore de moyens de défense. Ces protéines peuvent avoir une durée de vie relativement courte, et là encore, comme avec l’ADN, il s’agit d’un véritable ballet dynamique entre la création de nouvelles protéines et la dégradation des anciennes.

Notons qu’au départ, une protéine, c’est un simple alignement d’acides aminés. Comme une tôle d’acier qui donne la forme d’une voiture, ce n’est qu’une fois repliées dans tous les sens que les protéines acquièrent leur fonction. Or, il y a plusieurs centaines de configurations possibles, mais une seule qui soit physiologiquement active. Alors pour prendre la bonne forme, elles sont aidées par des protéines chaperonnes. Suite à un stress, comme un choc thermique ou un stress oxydatif, une protéine peut être repliée incorrectement. Cela arrive fréquemment. À ce moment, ces protéines peuvent être dépliées pour être correctement repliées, toujours par les chaperonnes, ou bien dégradées, c’est-à-dire taillées en pièces pour être recyclées. Avec l’âge, cet équilibre protéique dans la cellule est perturbé, et une accumulation de protéines mal repliées commence, avec pour résultat des agrégats de protéines toxiques pour la cellule.

VIVA LA RESISTANCIA !

Il ne faut pas croire que l’organisme, face à tous ces problèmes qui s’accumulent, ne fait rien. Bien au contraire. Tout d’abord, en vieillissant, il diminue son métabolisme. Via une diminution de l’hormone de croissance en particulier, le corps diminue ainsi le taux de division des cellules, et l’activité intra-cellulaire. Moins d’activité signifie une moindre sollicitation de l’ADN, et donc un risque d’erreur moins élevé.

Les cellules mettent également en route un certain nombre de mécanismes, comme la production des radicaux libres. On a longtemps cru que cette accumulation de radicaux libres dans la cellule provoquait une dégradation de l’ADN et de ses différents composants. On sait en réalité aujourd’hui que ces agents toxiques sont libérés volontairement par la cellule, afin de booster les systèmes de réparations.

Enfin, et c’est peut-être l’un des facteurs les plus importants, il y a la sénescence et la mort des cellules. Quand l’ADN d’une cellule est trop endommagé ou que les télomères sont devenus trop courts, la cellule elle-même décide de ne pas aller plus loin. Cela pourrait passer pour une défaite, mais c’est en réalité une victoire : la cellule s’arrête de fonctionner, au lieu de continuer et risquer d’accumuler trop de mutations et devenir une cellule cancéreuse.

Tous ces mécanismes protecteurs fonctionnent pendant un certain temps, jusqu’à ce qu’ils deviennent délétères à leur tour, dans un retour de flamme. La baisse d’activité métabolique des cellules rend les organes moins performants, et donc abîment le reste du corps au bout du compte. L’augmentation des radicaux libres stimule la réparation de la cellule, jusqu’à atteindre un seuil où ils provoquent eux-mêmes des dégâts irrémédiables. Enfin, les cellules sénescentes, moins bien recyclées, s’accumulent dans les organes, provoquant dégâts et inflammations.

CLAP DE FIN ET CELLULES SOUCHES

A ce moment-là, me direz-vous, quelque chose cloche. Après tout, c’est normal que les cellules vivent, s’usent, puis meurent. « C’est la vie », comme disent les Anglais. L’organisme est capable de se régénérer voyons ! La peau, les organes, le sang… Mêmes les neurones, qu’on croyait irremplaçables, sont en fait régulièrement renouvelés. Alors, que font les cellules souches ? C’est vrai, ces cellules sont responsables des formidables capacités de régénération de l’organisme. Chaque organe possède un lot de cellules souches, à l’abri dans des niches, sensées participer au renouvellement cellulaire. Et, contrairement aux cellules classiques, elles sont théoriquement capables de se diviser indéfiniment. C’est vrai. Mais que se passe-t-il, si tous les dégâts précédemment cités arrivent justement à ces cellules ? Il n’y a personne pour les remplacer, elles ! Qui plus est, même un stock consistant de cellules souches ne peut totalement remplacer les 100 milliards de cellules de l’organisme. A un moment, les dégâts sont trop importants, trop généralisés, pour être simplement effacés à coups de divisions cellulaires. Avec l’âge et le vieillissement des organes, on constate un épuisement des cellules souches. Entre les défections parmi leurs propres rangs, et le taux de cellules à renouveler, les cellules souches ne tiennent probablement pas le rythme.

Comment vieillit-on ? La réponse est en quelque sorte d’une simplicité désarmante : en vivant ! Avec le temps, l’ADN, l’épigénome, les protéines des cellules s’usent, s’abîment, subissent des dégâts et des cassures, que la puissante machinerie de réparation ne peut pas toujours réparer. Ces dégâts s’accumulent. Dans une tentative de préserver son fonctionnement, d’autres mécanismes se mettent en place, comme la baisse du métabolisme, mais ces mécanismes finissent par se retourner et aggraver la situation. Au final, l’organisme n’a plus qu’à piocher dans ses réserves et son pool de cellules souches.

Ça a l’air simple, vu comme ça, mais il reste en réalité encore bien des points obscurs. Pour la plupart des mécanismes, il ne s’agit « que » d’une constatation d’effets, sans de réel compréhension des causes sous-jacentes. D’autant que le vieillissement est un phénomène difficile à observer. Les levures, les vers nématodes, et les mouches drosophiles fournissent un « matériau » facile, car ces individus ont une courte durée de vie. Beaucoup de choses ont été comprises grâce à eux. Mais plus l’organisme est complexe, plus les mécanismes le sont également. Si un gène code pour un mécanisme donné dans la levure, jusqu’à 6 gènes différents seront nécessaires pour ce même mécanisme dans la souris. Avec autant de voies à explorer.

Pourquoi vieillit-on ? Pas si simple finalement. Reste à savoir pourquoi.

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