Nous vivons dans le futur, désormais

2021 sonne à mes oreilles comme une année où se déroulent les évènements d’un bouquin de SF. Un monde fait de grandes tours de verre et de voitures volantes, d’androïdes capables de faire du café dès le matin et d’un Internet virtuel où on combattrait des démons plus vrais que nature. En ce début d’année, je m’attendais presque à ce que tout ait changé au cours de la nuit.

Le réveil est un peu difficile. La pandémie et son grand manteau gris est toujours présente. Trump est toujours Président des États-Unis. Le Royaume-Uni est réellement sorti de l’Union européenne. Il fait toujours trop chaud. La planète se meurt parce qu’une espèce entre toutes ne sait pas vivre en harmonie avec son environnement. Je suppose qu’au final, nous avons le futur que nous méritons. Pourtant, ça pourrait se passer autrement.

Dans sa série Darwin de 1999, l’écrivain de science-fiction Greg Bear parle d’une pandémie qui crée une pression de sélection sur l’être humain, le forçant à évoluer. C’est, à mon avis, accorder beaucoup de crédit à l’espèce humaine. Nous, on a évolué en mettant le masque uniquement sur la bouche, parce qu’on ne respire pas par le nez, c’est bien connu. Mais revenons à nos moutons.

Les post-humains de Bear sont loin d’être les mutants classiques de la pop culture. Ils sont plus sociaux, plus conviviaux, et expriment leurs émotions via des couleurs sur leur visage, ce qui rend le mensonge difficile. On est finalement loin de l’individualisme forcené prôné par le capitalisme et le transhumanisme.

D’autant plus que ce côté social a peut-être quelque chose à voir non pas avec notre avenir, mais avec notre passé. L’espèce humaine est une chose curieuse : les mâles restent fertiles tout au long de leur vie, tandis que les femelles passent près d’un tiers de leur vie après la ménopause. Et ce, contrairement aux autres primates. La première théorie pour expliquer ce phénomène était que la ménopause intervient pour laisser à la mère plus de temps pour s’occuper de ses enfants, plutôt que d’être perpétuellement occupée avec des nouveaux-nés.

Cependant, d’autres anthropologues ont élaboré une hypothèse sensiblement différente : l’hypothèse des grands-mères. Ces dernières, loin d’être un fardeau, sont au contraire utiles au groupe en s’occupant des plus petits, ce qui permet aux femmes de participer aux autres besoins de la communauté, et en leur transmettant leur expérience. Or un groupe plus sage et plus malin a plus de chances de prospérer, et donc d’engendrer de nouvelles générations.

Cette théorie a beau dater des années 1960, c’est assez rare de voir des personnages âgés dans les fictions d’anticipation, et encore plus des femmes âgées. Au pire, ces dernières sont passées sur le billard qui, en plus de leur enlever leurs rides, leur a aussi enlevé leur expérience, pour les laisser esclaves de leur passions adolescentes.

On peut probablement lire plusieurs choses dans ce manque. La première est sans doute ce culte de l’individu, de préférence jeune, qui cherche à s’extraire du groupe à la seule force de son travail. Comme le dit la chercheuse en sciences sociales Brené Brown, « il faut du courage pour dire oui au repos et au jeu, dans une culture où la fatigue est perçue comme un statut symbolique. »

Mais on peut y voir aussi un certain tabou sur la vieillesse et la ménopause. La merveilleuse Ursula K. Le Guin l’écrit dans un texte intitulé La Vieille Dame et l’Espace, traduit depuis peu en français. Elle raconte que, selon elle, cette invisibilisation a conduit à une perte de sens. « […] La vieillesse est désormais une salle d’attente où l’on séjourne à la fin de sa vie, le temps que s’annonce le cancer ou l’accident cérébral. Pour les femmes, les années prés et post-menstruations sont réduites à l’état de vestige. Le seul statut valorisant est la fécondité. »

L’écrivaine conclut en disant que, pourtant, seule une femme de plus de soixante ans serait capable de raconter ce qu’être humain veut dire, avec tout le bagage de changement que cela suppose.

J’ose espérer, sans trop y croire, que 2021 aussi peut être elle aussi une année de changement. Cela serait en tout cas une surprise bienvenue dans cette inertie morose. Spectaculaire année à vous.

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