NANOPARTICULES, GIGAPROBLÈMES ?

Graphène
©New Yorker

« Il y a plein de place en bas », a déclaré en 1959 le physicien et prix Nobel de physique Richard Feynman. Par ces mots, il désignait l’infiniment petit, et les possibilités considérables que nous permettrait la manipulation de la matière, atome par atome. Aujourd’hui, force est de constater qu’en bas, on se sent un peu à l’étroit : dioxyde de titane, oxyde de zinc, noir de carbone, nanoargent… Les nanoparticules d’origine humaine ont envahi notre quotidien. Et on commence à se rendre compte que manipuler la matière à une si petite échelle ne va pas sans poser quelques (pas si) petits problèmes.

DE QUOI S’AGIT-IL ?

Le sujet des nanoparticules est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord. Une nanoparticule est définie comme une particule dont le diamètre n’excède pas 100 nanomètres. Nous voilà bien avancés. Pour comprendre de quoi il s’agit, il faut revenir à la manière dont est conçue la matière, le monde dans lequel nous évoluons. La matière est composée d’atomes, qui se regroupent pour former des molécules : polyéthylène, acide gras, nylon… Ces molécules ne sont pas isolées. Elles se regroupent par millions pour former la matière que nous connaissons : plastiques, huiles, fibres synthétiques, etc.

Dans le cas des nanoparticules, c’est un peu comme si seulement quelques molécules se regroupaient en une particule stable et, se suffisant à elle-même, elle devenait asociale. Chaque particule dispose de propriétés qui lui sont propres. Dans un fil de nylon, c’est l’assemblement des molécules de polyamide qui créent la fibre élastique. Si ces molécules sont isolées les unes des autres, pas de fibre. Pour les nanoparticules, chacune va remplir son rôle sans être liée aux autres. Si un matériau classique est une multinationale, une nanoparticule est une PME. Elles forment un tissu à grande échelle, mais fonctionnent bien toutes seules.

Alors pour quoi faire, me demanderez-vous ? Pourquoi déployer autant de moyens pour manipuler la matière à l’échelle nanométrique, quand on a des moyens plus simples à notre disposition ? C’est là que ça devient intéressant. À l’échelle nanométrique, les propriétés d’un matériau ne sont pas les mêmes qu’à l’échelle macroscopique !

Prenons l’exemple du dioxyde de titane, puisqu’il est particulièrement à la mode ces derniers temps. Le dioxyde de titane est un pigment blanc, non toxique, utilisé couramment sous sa forme commune dans les peintures, le papier, les plastiques, les céramiques, etc. L’intérêt du dioxyde de titane, entre autres, c’est sa capacité à réfléchir les UV. On l’appelle d’ailleurs le blanc de titane.

Une particule classique de dioxyde de titane fait entre 200 et 250 nanomètres de diamètre. Mais si on diminue la taille des particules à environ 20 ou 30 nanomètres de diamètre, on en fait alors des nanoparticules, qui présentent une propriété très intéressante : le produit réfléchit toujours les UV, mais devient transparent ! D’où son utilisation massive dans les crèmes solaires, les bonbons pour les rendre plus brillants, et les produits cosmétiques en tous genres. Il s’agit pourtant d’un produit très bon marché, utilisé depuis des décennies, alors pourquoi ce soudain regain d’intérêt ? En réalité, si le blanc de titane classique n’est pas toxique, pour les nanoparticules de dioxyde de titane, c’est une autre paire de manches. Qui dit nouvelles propriétés, dit également nouveaux comportements, potentiellement délétères.

LA TAILLE, CA COMPTE

À priori, il est assez contre-intuitif de penser qu’une particule qui fait 20 nanomètres de diamètre fait plus de dégâts qu’une particule dix fois plus grande. Surtout si la plus grosse n’est pas toxique. Il nous est assez difficile de conceptualiser ce qu’il se passe à cette échelle de la matière.

Normalement, et si on exclut du lot la bêtise humaine, la vie n’émerge pas du vide. Tout organisme vivant a besoin d’un apport en énergie, oxygène et nutriments par exemple, et nécessite par conséquent d’évacuer les déchets d’une telle production : dioxyde de carbone et… Enfin vous avez compris. Mais comme il lui faut également se protéger des agressions extérieures, il ne peut pas laisser ses portes ouvertes à tout venant. Il doit donc sélectionner ses invités, et être capable de refouler les indésirables. Entrent en scène les barrières biologiques : peau, alvéoles pulmonaires, paroi intestinale. Ces barrières, constituées de cellules serrées les unes contre les autres et bardées de défenses contre l’extérieur, comme la kératine ou la sécrétion de mucus, font également office de surface d’échange. C’est là que les nanoparticules représentent un danger. Là où les bactéries, les virus et autres pollens sont stoppés, elles sont au contraire bien trop petites pour être arrêtées par nos mécanismes de défense, et peuvent ainsi s’engouffrer dans la circulation sanguine et atteindre tous les organismes. Comme un minuscule cambrioleur capable de se faufiler entre de solides barreaux accrochés aux fenêtres.

Une nanoparticule, comprise entre 10 et 50 nanomètres, est dix mille fois plus petite qu’une particule fine, les PM10. Mille fois plus petite qu’une bactérie, dix fois plus petite qu’un virus. Elle n’a donc aucun mal à pénétrer au plus profond de l’organisme, jusque dans les cellules et leur noyau, pouvant ainsi provoquer des dommages à l’ADN. Qui plus est, les éléments utilisés, comme l’or, l’argent ou le titane, sont considérés comme inertes. Mais à l’échelle nanométrique, ils peuvent devenir extrêmement réactifs, voire toxiques, et provoquer l’apparition de radicaux libres dangereux pour les cellules. Ces particules sont tellement petites qu’elles seraient mêmes capables de pénétrer la barrière hématoencéphalique, pourtant la plus efficace et la plus select de tous, et ainsi provoquer des dégâts dans le cerveau. Y être exposé de façon chronique, jusqu’à atteindre un seuil critique, pourrait avoir des effets nocifs. Inflammations chroniques, baisse de la fertilité, cancers sont parmi les effets évoqués.

TROP DE POSSIBILITÉS

Ça c’est pour la théorie. Et comme disait Einstein, la théorie, c’est quand rien ne marche, mais qu’on sait pourquoi. Dans la pratique, force est de constater qu’on ne sait toujours pas grand-chose de la toxicité de toutes ces particules. Les études sont très largement contradictoires à ce sujet. Dans l’une, les nanoparticules de dioxyde de titane provoquent des lésions précancéreuses dans l’intestin des rats, dans une autre les rats se portent comme un charme, et aucune lésion n’est constatée, malgré les doses massives utilisées. Certains accusent les nanoparticules de pénétrer la barrière de la peau, d’autres ne trouvent aucune trace d’un tel phénomène. Seule la dangerosité de l’inhalation de nanoparticules, à forte dose et de façon chronique, semble pour l’instant avérée. Pour cette raison, le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), a classé le dioxyde de titane comme cancérogène possible pour l’homme par inhalation. La dangerosité de l’ingestion nécessite encore des études supplémentaires.

Les raisons d’une telle incertitude tient à la nature diverse des nanoparticules. La molécule en tant que telle, sa forme, sa fonction, l’éventuel « enrobage » que l’on va créer autour pour améliorer son entrée dans l’organisme, sa concentration, sa tendance à s’agréger en particules plus grosses, trop de paramètres entrent en ligne de compte pour simplement dresser un panorama clair de la situation. L’étude et la fabrication des nanomatériaux est une science encore jeune, et encore très incomplète.

En revanche, un domaine encore moins étudié que la toxicité humaine semble d’ores et déjà particulièrement inquiétant : l’écotoxicité des nanoparticules. Autrement dit, la toxicité pour l’environnement. Car si nous, ô organismes supérieurs, disposons d’un certain nombre de lignes de défenses, ce n’est pas le cas pour les petits organismes qui pullulent dans nos sols, nos rivières, nos étangs, et qui sont cruciaux pour l’équilibre de l’écosystème : micro-algues, crustacés, vers, bactéries, etc. Et les quelques études qui ont été menées montrent pour ces organismes des seuils de toxicité qui concordent avec nos rejets dans l’environnement. Car pour l’instant, les nanoparticules ne sont pas filtrées par les stations d’épuration. Le nanoargent est particulièrement mis en cause. Ces nanoparticules, utilisées pour leurs propriétés anti-bactériennes, font parties des molécules les plus utilisées. On les trouvent sur les parois des frigos, dans les vêtements de sport, les emballages alimentaires, et jusque dans les machines à laver ou certains mitigateurs de robinet, avec un relargage massifs d’ions argents toxiques dans les eaux usagées à la clé. Mais on pourrait également citer l’oxyde de zinc, biocide qu’on trouve en grande quantité dans les crèmes solaires, et par conséquent sur toutes les plages.

UNE COURSE PERDUE D’AVANCE

Les nanoparticules recouvrent des champs tellement différents qu’il est impossible de ne pas fonctionner au cas par cas quant à leur présence dans nos vies. Avant tout parce que la société moderne n’est pas l’inventeuse des particules de taille nanométrique. Il existe des nanoparticules d’origine naturelle, par exemple émises lors d’un feu de cheminée ou l’éruption d’un volcan. D’autres, bien que d’origine humaine, sont produites par des phénomènes d’usure naturelle, comme les plaquettes de frein d’une voiture, et participent à la pollution de l’air.

Restent les nanoparticules fabriquées intentionnellement par l’homme. Encore une fois, impossible d’être manichéen. Une bonne partie d’entre elles représentent un espoir non négligeable dans de nombreux domaines, de la dépollution des sols à la lutte contre le cancer. Les études actuelles portent par exemple sur des nanoparticules d’or capables de cibler spécifiquement les cellules cancéreuses. Les quantum dots, sortes de nanoparticules réactives à la lumière promettent de grandes avancées dans l’imagerie médicale.

Pourrait-on alors limiter l’exposition du grand public ? Malheureusement, l’invasion est déjà tellement avancée, tellement mondialisée, engrangeant des milliards de dollars de chiffre d’affaires qu’il serait illusoire de vouloir ne serait-ce que contrôler leur inexorable progression. Plusieurs millions de tonnes de particules sont déjà produites chaque année. D’autant qu’à l’heure actuelle, il n’existe aucun inventaire exhaustif des produits sur le marché contenant des nanoparticules. Une première tentative en 2005 et mise à jour en 2013 avait répertorié 1628 produits destinés au consommateur. Ce chiffre a probablement explosé aujourd’hui, et il ne compte même pas les produits destinés à l’industrie. La France, quant à elle, a bien mis en place une déclaration obligatoire des produits contenant des nanoparticules. La liste, consultable sur Internet, ne renseigne malheureusement que sur l’utilisation faite des nanoparticules. Ainsi peut-on tout de même relever que du noir de carbone, nanoparticule potentiellement toxique à l’ingestion, est utilisé dans de la peinture pour jouets.

De plus, cet inventaire ne repose que sur la déclaration volontaire. Que faire quand cette déclaration n’est pas faite ? Quels contrôles, quelles sanction sont prévues ? Les association de consommateurs de différents pays, comme l’UFC-que-choisir en France, commencent à déposer des plaintes contre les industriels de l’agro-alimentaire pour l’utilisation de nanoparticules dans l’alimentation, comme le dioxyde de titane (E171) ou le dioxyde de silice (E551) sans qu’aucune mention n’en soit faite dans les ingrédients, alors qu’il y sont pourtant légalement tenus. Certes, cela ne veut pas dire qu’il n’est pas possible de faire quoi que ce soit. Le gouvernement français a par exemple interdit, à partir de 2020, le dioxyde de titane dans les produits destinés à l’alimentation pour les risques évoqués. Mais cette interdiction, outre le fait qu’elle ne concerne ni les médicaments, ni les produits cosmétiques, comme les dentifrices, donne l’impression d’un enfumage. Les industriels, en acceptant le retrait d’un ingrédient qui, de leur aveu même ne sert pas à grand-chose, montrent patte blanche afin de détourner l’attention sur les autres produits autrement plus problématiques.

La vraie question à poser se situe plutôt du côté de l’utilité de certaines nanoparticules dans notre vie courante. Avons-nous vraiment besoin de chaussettes de sport traitées au nano-argent pour limiter leurs odeurs ? Ou de dentifrices dotés de propriétés réfléchissantes ? Le culte permanent de l’apparence du XXIème siècle n’est malheureusement la meilleure grille de lecture pour évaluer la pertinence de ces pratiques.

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