La limace et le Datura

S’il y a une espèce qui profite du temps pourri du nord de l’Europe, c’est bien la limace. Leur voracité est sans limite. En temps normal, elles mangent mes fraises, mes tomates, mon basilic. Cette année, elles mangent… mes Datura. Leurs feuilles sont devenues de gigantesques gruyères, avec un peu de vert autour. Autant pour la « plante ornementale ». Mais ça me pose question. Les Datura sont censées être des plantes toxiques, bourrées d’alcaloïdes neurotoxiques dans toutes ses parties, et les limaces semblent l’ignorer.

De nombreuses molécules jouent avec notre système nerveux, comme avec celui des animaux. Les histoires à ce propos sont nombreuses : beaucoup ont déjà vu cette image d’une toile d’araignée qui a été soumise à différentes substances : caféine, LSD, cannabis, etc. Les reportages des élans, complètement bourrés à force de manger des pommes fermentées et qui importunent les nordiques, font la une tous les automnes. Il y a les Orang-outans accrocs à la nicotine, et les chats à l’herbe à chat. Les plantes elle-mêmes semblent partager certains traits avec notre système nerveux. Le mimosa, connu pour se refermer au moindre contact, reste totalement immobile après avoir été anesthésié à l’éther. Et pourtant, les limaces s’en fichent.

Une recherche sortie en 2005 semble indiquer que les limaces, et en particulier les jeunes individus, sont capables de supporter des quantités d’alcaloïdes 10 à 20 fois supérieures aux mammifères herbivores, et que leurs glandes digestives sont capables de détoxifier sans problème leur repas. À taille égale, une petite limace est capable de traiter une dose qui serait dangereuse pour n’importe qui. Et je me demande ce que cette histoire dit de nous et de notre fragilité à nous, les êtres humains.

Par bien des aspects, nous sommes bien plus vulnérables que les limaces. Faute de tomates et de fraises, elles sont tout à fait capables de se nourrir d’une plante hyper-toxique ; je ne suis pas sûr qu’on puisse en dire autant. À force de surexploiter les sols et les océans, de perdre des récoltes sous la sécheresse et les inondations et de décimer les insectes pollinisateurs, quelles ressources nous restera-t-il ? C’est quoi, notre Datura à nous ? Pour le dire grossièrement, nous sommes au sommet de la chaîne alimentaire. Si elle s’effondre, aurions-nous la prétention de pouvoir y survivre ?

PS : pour ceux que la botanique toxique intéresse, il existe au nord de l’Angleterre le Toxic Garden, dans les jardins du château d’Alnwick. La visite se fait en 30 minutes top chrono. On ne s’approche de rien, on ne sent rien, et surtout on ne touche rien. Un vrai lieu paradisiaque.

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