La Belle Époque des Temps Modernes

C’est le serpent qui se mord la queue. « Ne dépendez plus du programme TV, regardez ce qui vous intéresse », c’était l’argument de vente des plateformes de vidéos à la demande comme Netflix. Ça valait bien la peine de jouer sur la corde de notre indépendance d’esprit, puisqu’on se retrouve quand même tous devant leur dernière série : « Lupin, dans l’ombre d’Arsène ».

En même temps, j’ai une excuse : Arsène Lupin, c’est la base de tout mon imaginaire depuis que je sais lire. Je me souviens avoir tanné la bibliothécaire de mon village, du haut de mes dix ans, en lui soulignant que toute bibliothèque digne de ce nom se devait d’avoir plus que « L’Aiguille Creuse » et « Le Bouchon de Cristal ». Il ne m’était pas venu à l’idée que la bibliothèque avait un budget limité et qu’elle devait avoir des livres qui intéressaient aussi les autres.

En réalité, j’étais curieux de voir cette adaptation moderne, parce que les aventures du Gentleman Cambrioleur, comme celles de Sherlock Holmes d’ailleurs, ont gardé le parfum du XIXème siècle, et en particulier de la science de l’époque. Dans « Une Étude en Rouge », première aventure de Sherlock, ce dernier invente une méthode pour détecter les traces de sang. Dans « L’évasion d’Arsène Lupin », ce dernier fait croire qu’il s’est échappé de prison en se métamorphosant en pauvre bougre grâce à des procédés qui, à la réflexion, doivent piquer un chouïa : injection d’acide, de paraffine et d’alcaloïdes divers pour modifier la peau, la voix, les cheveux…

DU SUR-MESURE

Comparaison scientifique.

À l’époque, il n’y avait pas encore de test ADN pour confondre le coupable, ni d’empreintes digitales. Ces dernières ne sont apparues qu’à la toute fin du XIXème siècle. Avant, c’était l’anthropométrie qui avait le vent en poupe, appelée le système Bertillon, du nom de son inventeur. En plus des photos d’identification et des signes distinctifs comme les grains de beauté, on prenait différentes mesures comme l’avant-bras, le pied, le tour du crâne, etc. Statistiquement, il y avait peu de chances que vous ayez exactement les mêmes mesures que quelqu’un d’autre.

Cependant, ce système avait quand même plusieurs défauts. Il ne permettait pas de coincer les jeunes, puisque leur taille évoluait. Apparemment, il ne permettait pas non plus d’appréhender les femmes, leurs coiffures faussant le système de mesure. Ces dernières se prenaient complètement nues pour éviter les erreurs, au détriment du respect de chacun. Mais surtout, il s’agissait d’un système d’identification négative. On pouvait dire de quelqu’un : « ce n’est pas lui », parce qu’il ne présente pas les bonnes mesures. Mais on ne pouvait être sûr à 100 % que « c’était lui », comme avec les empreintes digitales qui nous sont uniques et qu’on a le malheur de laisser trainer un peu partout. Sans réelle surprise, on peut remarquer que cette utilisation de nos empreintes digitales a été popularisée par un certain Galton, père de l’eugénisme. Il voyait là sans doute un moyen de ficher les « gens de mœurs contraires à la morale ».

TOUS FICHÉS

Aujourd’hui, la biométrie, cette science qui nous fiche grâce à nos caractéristiques personnelles, est partout. Les passeports, comme les futures cartes d’identité françaises, détiennent une puce RFID contenant deux empreintes digitales. L’Europe finance à coups de millions la recherche dans ce domaine, sous couvert de nous protéger des menaces de l’extérieur.

Les constructeurs de smartphones l’ont, eux aussi, largement adoptée. Apple a popularisé le lecteur d’empreinte digitale puis la reconnaissance faciale, et Samsung a ajouté un lecteur d’iris.

Si l’ajout de la biométrie aux documents d’identité avait fait débat à l’époque, son adoption par la population pour protéger nos téléphones s’est faite sans accroc. Il paraît que c’est tellement plus sûr, puisqu’on n’oublie pas ses empreintes comme on oublie un mot de passe. Et comme on déverrouille nos téléphones cent cinquante fois par jour, c’est plus facile de presser sur un bouton que de taper un code à six chiffres. Seulement, si les mots de passes peuvent être changés en cas de problème, ce n’est pas le cas de nos doigts ou de nos yeux. Ils sont nous, jusqu’à la fin de notre vie.

Les données biométriques, en plus d’être faciles à obtenir, gagnent du terrain parce que présentées comme infalsifiables. Mais rien n’est jamais infalsifiable. Il est même parfois plus facile d’obtenir ces données sans le consentement de son détenteur. Or, quand la biométrie sera généralisée à l’ensemble de nos pratiques, il sera d’autant plus difficile de prouver son innocence ou sa bonne foi en cas de fraude.

Tout ça me rappelle que nous sommes en 2021, et que ma carte d’identité arrive à expiration cette année. J’aurai donc le privilège de détenir une carte biométrique. La Belle Époque.

Laisser un commentaire