Embryons, vos papiers !

La perfection est-elle humaine ?
©Editions Le Lombard

Aujourd’hui, il est possible, lorsqu’on est porteur d’une mutation génétique particulièrement invalidante, d’éviter de la transmettre à sa descendance en sélectionnant en amont le ou les embryons qui deviendront, neuf mois plus tard, une de ces grenouilles dégoulinantes et braillardes devant lesquels les gens tombent immédiatement en pâmoison. On prélève quelques ovocytes chez la mère, on les féconde avec les spermatozoïdes du père, et on écarte du processus tous les embryons ainsi créés qui ne répondent pas au contrôle qualité.

Et ça, ça fait fantasmer les transhumanistes de tout poil. Enfin, on pourra bientôt commander un gamin comme on commande une pizza : sans anchois maladie, mais avec extra fromage cerveau. Un bébé customisé, à la carte. Si on suit leur raisonnement, ce n’est qu’une question d’échelle, donc de temps. Si on sait aujourd’hui scanner votre génome à partir d’une goutte de salive, on peut bien, demain, sélectionner les meilleurs profils génétiques, voire supprimer et remplacer les gènes que l’on n’aime pas trop par une version plus performante. Ça a l’air trop beau pour être vrai ? C’est que ça l’est sûrement. Certes, des dérives sont possibles et existent déjà. Mais pour l’immense majorité des cas, il semblerait bien qu’un tel futur restera un fantasme.

LA BOURSE OU LA VIE

Fécondation In Vitro
©Wikimedia Commons

Le Diagnostic Pré-Implantatoire (DPI), puisque c’est le nom de cette technique médicale, n’est pourtant pas si récent que ça, puisqu’il a été utilisé pour la première fois en 1989 pour un premier enfant né en 1990. Soit un peu plus de 10 ans après le premier bébé éprouvette. Le principe, on l’a dit, consiste à sélectionner le ou les embryons issus d’une Fécondation In Vitro (FIV) sur base de leur génome. Lorsqu’un des futurs parents a hérité d’une maladie génétique, ou même s’il se sait porteur du gène responsable de cette maladie sans en être affecté lui-même, le couple, bien que fertile, peut décider de passer par une FIV pour avoir un enfant. Une fois les embryons obtenus, plusieurs cellules en sont prélevées pour vérifier si elles sont porteuses de la mutation. Ne sera alors implanté dans l’utérus de la futur mère que l’embryon dont le génome est sain.

Et c’est précisément là que se situe le premier obstacle à une généralisation du DPI à toutes les grossesses pour avoir des générations d’enfants parfaits. La FIV n’est en aucun cas une méthode de substitution à la conception naturelle. Si la fertilité des femmes décroît avec l’âge, et en particulier après 30 ans, les FIV ne permettent pas de « remonter » les chances de concevoir un enfant. Plus l’âge de la femme augmente, et plus la qualité de ses ovocytes baisse. De plus, le taux de réussite d’une FIV culmine à 60 % au bout de quatre essais, au mieux. On est loin des 92 % (au bout d’un an) de la méthode naturelle.

Ensuite, la FIV est un parcours éprouvant pour les couples et en particulier pour les patientes, depuis la stimulation ovarienne à l’implantation, en passant par la ponction d’ovocytes. Il s’agit d’une procédure médicale longue et coûteuse. Si la France rembourse jusqu’à quatre cycles, et comptez entre 4000 et 5000 euros pour chaque, ce n’est pas le cas pour tous les pays. De plus, il ne s’agit que d’une FIV « normale », c’est-à-dire sans diagnostic pré-implantatoire qui alourdit encore la facture, et pas qu’un peu. Encore une fois, on est loin d’une conception naturelle qui nécessite, au pire, une bouteille de Merlot.

BENIS SONT LES SAINS

Les 23 paires de chromosomes humain
©Wikimedia Commons

Enfin, et surtout, le DPI n’est ni anodin, ni infaillible. Le principe, sur le papier, est très simple. Une fois la fécondation effectuée, lorsque l’embryon n’est encore qu’un sac cellulaire batifolant dans une boîte de Pétri, prêt à être implanté dans l’utérus, on prélève doucement quelques cellules afin d’analyser leur génome. Ce prélèvement n’ampute pas l’embryon d’une partie de lui-même. À ce stade, en effet, chaque cellule peut donner à elle seule ou presque un individu entier.

Seulement, il y a un hic. Il est probable que la ou les cellules prélevées ne soient pas représentatives du reste de l’embryon. Malheureusement, les embryons obtenus par FIV sont souvent victimes de ce qu’on appelle le mosaïcisme. Comme une mosaïque est formée de petites pièces à la fois identiques et différentes, l’embryon est constitué de cellules identiques mais qui n’ont pas toutes le même ADN. Des erreurs ont pu avoir lieu lors des premières divisions cellulaires de l’œuf fécondé. Du coup, impossible de savoir si la cellule prélevée a bien le même ADN que ses consœurs. Si elle détient un gène défectueux mais pas les autres, on risque de mettre de côté un embryon autrement sain par ailleurs. Et vice versa, le prélèvement d’une cellule saine ne garantit pas que la totalité de l’embryon le soit. Et en plus de ces problèmes génétiques, il faut prendre en compte les inévitables faux positifs, et les erreurs liées à la technique en soi.

L’amélioration des techniques permet d’éviter ce problème de mosaïcisme, en établissant le diagnostic uniquement sur les embryons ayant atteint le stade blastocyste, un stade où un nombre plus élevé de cellules peut être prélevé pour être sûr de ne pas faire d’erreur. Mais ça signifie également moins d’embryons à transplanter ultérieurement, car peu d’entre eux atteignent ce stade in vitro, alors qu’ils se développeraient peut-être correctement dans un utérus. Cela suggère une augmentation des coûts, avec un milieu de culture différent, voire une vitrification des embryons (sorte de congélation express) le temps de pouvoir lancer tous les tests génétiques nécessaires.

AU REVOIR GATTACA

Dehors les invalides : l’inévitable film Gattaca
©Columbia Pictures

Et à ce stade, on parle uniquement du test de quelques gènes problématiques. Imaginons, pour l’amour de la discussion, qu’on réalise un séquençage entier du génome de l’embryon. Comme pour un adulte, avec un simple prélèvement, l’analyse du génome permettrait de connaître les pourcentages de chance de développer un diabète de type 2 ou une insuffisance cardiaque dans le futur. Comme ça, ça a l’air super, mais en réalité, on surestime grandement leur degré de prédiction. Si on sait, dans certains cas, quel gène est associé à une pathologie cardiaque, on est encore loin de pouvoir prédire leur influence. Dans ce type de scénario, les gènes ne sont ni une fatalité, ni un destin. Les facteurs environnementaux, l’éducation, le style de vie, le milieu social, tout cela a son importance.

Néanmoins, il est probable que, dans le futur, le séquençage intégral du génome puisse être régulièrement envisagé. Mais avec quelles conséquences ? Imaginez qu’un gène augmentant modérément les chances de développer un cancer soit découvert sur un embryon sain. Faut-il le dire aux futurs parents, au risque de mettre de côté un embryon qui a, par ailleurs, toutes les chances de se développer normalement ? Si un enfant nait de cette implantation, faudra-t-il le lui dire, et lui imposer une épée de Damoclès toute sa vie, alors qu’il ne s’agit que d’une possibilité ? Et s’il s’agissait d’un faux positif ? Un génome entier, c’est beaucoup d’informations à traiter, ce qui augmente considérablement le risque d’erreurs.

Le DPI est encore très strictement encadré, au moins en Europe. Les pays limitent la procédure à une maladie génétique bien précise, et ne s’aventurent pas au-delà. En d’autres termes, il n’est pas question de faire un séquençage génétique parce que le grand-père a développé un diabète de type 2, ou parce que les parents veulent une fille aux yeux bleus. En France, seuls quelques centres agréés sont capables de réaliser un DPI, et on compte moins de 500 enfants nés suite à cette procédure par an. Cependant, certains pays comme les Etats-Unis n’ont pas de cadre légal strict et certaines cliniques proposent par exemple de sélectionner le sexe de l’embryon en l’absence de pathologie liée au sexe.

Pour autant, quand bien même les barrières légales étaient levées demain sur cette procédure, la science ne permet pas aujourd’hui de produire des enfants parfaits, triés comme on sélectionne du bétail. Et même si c’était le cas, il y a tellement de choses qui ne dépendent pas de facteurs génétiques qu’avant de pouvoir réaliser sa glorieuse destinée, l’enfant devra évoluer dans le même environnement que les autres, avec les risques que ça implique. Il est sans doute illusoire de croire un jour à un futur d’humains à la carte. Cette envie de produire des bébés customisés grâce à la science a sans doute plus à dire sur nos angoisses actuelles que sur notre avenir. Embryons, circulez

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