C’est la Human Touch

C’est la fin du monde, non ? Sérieusement. Entre les feux amazoniens, russes, australiens (qui arrivent, personne ne se fait d’illusions) et états-uniens ; l’effondrement de la biodiversité, dont en fait j’ai l’impression que tout le monde se fiche, vu que l’ONU a expliqué qu’on n’a pas atteint ne serait qu’un seul des objectifs de 2010 en la matière (pas un seul put*** ! Mais qu’est-ce qu’on fout, je vous le demande) ; et enfin la fonte de l’Arctique qui confirme qu’on est en train de suivre les pires projections du GIEC… Non, vraiment, ce subtil parfum de soufre (big up Bottero) me donne envie de rester sous ma couette pour le millénaire à venir. Après tout, les lits, je suis sûr que ça flotte. Ah oui, et sans oublier le second mandat de l’autre Orang(e) qui semble bien parti. 2020 ? Un Millésime. Un Mil-lé-sime.

Pas pu résister. Pardon…

Donc puisqu’on parle de notre doigté d’être humain aussi subtil qu’un trente-trois tonnes, parlons du toucher. Mais pas exactement du toucher classique, qui nous permet de percevoir le monde, les formes, les textures, comme des gamins qui porteraient ensuite tout à leur bouche. D’ailleurs, si ça vous intéresse, Bruce Benamran de la chaîne youtube e-penser l’a traité dans une vidéo en deux parties, ici et .

Non, on va plutôt parler du toucher social. Ça fait bien sûr un moment qu’on sait que le toucher participe largement à nos relations avec les autres, en bonne espèce sociale que nous sommes. Contrairement à l’avis des rois de Carmélide (#Kaamelott), le toucher est même indispensable au bon développement de l’enfant. Apparemment, les études montrent que les enfants ayant eu moins de contacts physiques avec leurs parents sont plus sujets au stress, et plus agressifs (ceci-dit, le toucher pour le toucher ne sert à rien, visiblement. Durant l’enfance, c’est la qualité de la relation qui compte, pas la quantité… À titre purement perso, je dirais que ça ne change pas beaucoup par la suite). Plus de contacts fait des enfants plus exploratoires, plus performants aux tests cognitifs. Mais jusqu’il n’y a pas longtemps, il n’y avait pas de base matérielle à tout ça, de base physiologique.

Le toucher, ça fait longtemps qu’on croit tout connaître. Les capteurs de pression, les capteurs de chaleur, tout ça. Et bien en fait, le toucher sensuel, affectif, aurait son propre réseau nerveux. Pour faire simple, pour le toucher en général, notre peau est remplie de capteurs répartis un peu partout. Ces capteurs sont reliés à notre cerveau via des nerfs à conduction rapide, afin qu’on ne mette pas trois heures à savoir si on touche une planche à clous ou des draps de satin. Et au niveau du cerveau, ces nerfs activent une zone qui s’appelle le cortex somato-sensoriel qui, comme son nom l’indique, nous renseigne sur le corps et les sensations.

Et puis, au milieu de tout ce réseau autoroutier, il y a des petits chemins de campagne, les fibres CT. Elles commencent à proximité de nos poils et, comme les autres, remontent vers le cerveau. Mais ce sont des fibres lentes, pas très pratiques pour déterminer le tranchant du couteau. Par contre, elles sont sensibles à un truc plus fun (enfin, tout dépend de vos préférences de plumard évidemment…) : ces fibres préfèrent des mouvements de toucher passif, entre 3 et 10 centimètres par seconde, ainsi que des températures proches de celles de la peau humaine. Des caresses, en somme.

Étonnamment (ou pas, en fait), ces capteurs sont présents sur toutes les surfaces pileuses, ce qui excluent les paumes de mains et de pieds. Ce qui est plutôt pratique, finalement, si on veut éviter d’avoir un frisson de plaisir (ou plus si affinités) à chaque fois qu’on pose le pied par terre ou qu’on se saisit du couteau pour éplucher les patates. Un accident est si vite arrivé. Mais en gros, les mains sont tellement importantes et bourrées de capteurs pour notre perception qu’il est normal de ne pas les encombrer avec d’autres signaux plus sensuels.

Expérimentalement, ça a l’air assez compliqué de stimuler ces fibres indépendamment des autres, celles de la perception. Cependant, toutes les études menées ont l’air de lier leur stimulation à une sensation de plaisir. Qui plus est, ce système est relié à deux choses : la première est la sécrétion d’endorphines, cet opium du bien-être que notre corps sécrète. La deuxième, c’est le cortex insulaire. Autrement dit, les fibres CT ne renseignent pas le corps sur les sensations proprement dites, mais plutôt sur la conscience de soi. Et comme cette zone du cerveau est aussi relié aux zones qui s’occupent de la mémoire et des émotions, c’est un pan entier de notre perception qui s’ouvre-là (n’importe quel chercheur en neurosciences me tuerait pour une description aussi bâclée).

Où est Charlie ?

En d’autres termes, on est câblés pour se toucher les uns les autres, pour y prendre du plaisir. Ce système permet de percevoir comme agréable une caresse d’un proche, et de renforcer les circuits d’attachement entre personnes du même groupe social, de déclencher toute une cascade d’émotions et éventuellement de souvenirs.

Après, il ne faut pas non plus aller trop loin : le toucher, c’est aussi et surtout une histoire de contexte, de culture, de personnes, et d’histoire personnelle. Le toucher n’est pas agréable chez et avec tout le monde. Le toucher malencontreux d’une peau inconnue et moite dans un métro pestilentiel d’heure de pointe ne l’est pas du tout.

Et en plus, ce n’est pas parce que ces fibres ne sont pas présentes sur la paume des mains que ces dernières ne sont pas impliquées dans le toucher social. La preuve, caresser son chat réduit le stress, tenir la main de l’être aimé aussi (awwww, mais si c’est pas mignon!). Se serrer la main est un geste de salutation. Bref, les mains, suivant comment on s’en sert, ça peut (aussi) être sympa.

Nom-nom-nom-nom…

Pour en revenir aux fibres CT, il est tout à fait possible que ce système dérive du concept d’épouillement ou de toilettage qu’on retrouve chez les autres mammifères et primates. C’est un comportement social, qui lie la mère à l’enfant, mais aussi les membres d’un même groupe. L’épouillement chez les singes n’a pas qu’une vertu sanitaire. Ils peuvent passer jusqu’à 17 % de leur temps à cette pratique, alors que seulement 1 % suffirait, si c’était uniquement pour les poux. Chez les humains, on a peut-être plus de poils, mais on a des idées. Et des poux. Ne me demandez pas si les deux sont corrélés, positivement ou négativement.

Bizarrement, ce système se développe très tôt chez le fœtus et son importance dans sa formation n’est pas claire. Mais les chercheurs ont une théorie : en étant stimulé par les mouvements du liquide amniotique, et étant relié au système de la conscience de soi, il permet d’enclencher le développement du « cerveau social ». En gros, le toucher social serait un de nos premiers sens à être activé, bien avant le reste. Pas étonnant du coup que le peau-à-peau soit si important chez les nouveaux-nés.

Bonne journée !

Enfin, un truc vaut le coup d’être noté, et qui me semble primordial : si le sens du toucher discriminatif (les formes, les textures…) a tendance à s’éroder avec le temps, ce n’est pas le cas du tout de sens du toucher « sensuel » ou social. Il reste très actif tout au long de la vie, et continue de modifier notre activité cérébrale et comportementale jusqu’à un âge avancé. En résumé, il n’y a pas d’âge pour les câlins, au contraire. Et en cette période d’éloignement social, d’écrans interposés et de fin du monde, c’est probablement une des choses qui comptent le plus.

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