Cellules souches : vers la fontaine de jouvence ?

« Tu crois que ce visage revient de la Fontaine de Jouvence ?« 

Si vous vous intéressez aux nouvelles thérapies de ce XXIème siècle, et plus particulièrement des thérapies de régénération, il y a de bonnes chances que vous ayez déjà entendu parler des cellules souches. En raison de leurs capacités extraordinaires, elles figurent probablement en pôle position des plus grands espoirs de la médecine du futur. L’inconvénient, c’est qu’elles sont également à la première place des plus grands dangers.

Dans le corps humain, il y a beaucoup de types de cellules différents. Plus de 200, en fait. Des cellules neuronales capables de conduire un influx nerveux, des cellules musculaires capables de se contracter, des cellules pancréatiques capables de sécréter de l’insuline, des cellules sanguines, etc. Comme dans une société bien huilée, chaque individu a une fonction précise, qu’il accomplit avec fierté (enfin, on suppose, on n’a jamais constaté de grève cellulaire). Jusqu’ici, tout va bien. Le casse-tête se pose lorsqu’il faut assurer la relève. Autrement dit, le renouvellement cellulaire. On l’a vu précédemment, les cellules ont un nombre de divisions limité avant de mourir ou d’entrer en sénescence. Alors, comment assurer la bonne succession des générations ? Le corps n’a pas les moyens de garder des générations de jeunes prêts à monter au front quand leur tour viendra. D’autant que certains organes ont un taux renouvellement important : la paroi interne de votre estomac est entièrement renouvelée tous les 4 jours ! Pour ça, la Nature a trouvé une parade : les cellules souches.

CELLULE SOUCHE, CA MÈNE À TOUT

Les cellules souches, en quelque sorte, ce sont des cellules immatures, ou plus poliment indifférenciées. Des enfants à haut potentiel capables de devenir n’importe quelle autre cellule une fois mise dans les bonnes conditions. Contrairement aux autres cellules du corps, elles peuvent se diviser à l’infini (ou presque), vivent très longtemps, et sont dormantes la majeure partie de leur vie. L’exemple le plus parlant est celui du sang. Le sang comprend des tas de cellules différentes : les globules rouges, les plaquettes, les lymphocytes, les macrophages, les granulocytes… Eh bien une unique cellule, la cellule souche hématopoïétique, est capable de se transformer, se différencier donc, en la totalité de ces cellules ! On parle de cellule multipotente. Et pour assurer le renouvellement de la totalité des cellules de l’organisme, le corps n’a finalement besoin d’entretenir que 3 types de cellules souches multipotentes différents, au lieu des 200 types cellulaires du corps.

Heureusement, ces cellules ne se transforment pas en n’importe quoi n’importe où. La manière dont les cellules souches se différencient est étroitement contrôlée par l’organisme. D’ailleurs, la plupart du temps, les cellules souches sont quiescentes, c’est-à-dire en dormance. Elles peuvent par contre être réveillées et se diviser en masse pour ensuite se différencier. C’est ce qui se passe lors de la cicatrisation d’une lésion par exemple.

Alors pourquoi toute cette agitation autour des cellules souches ? Parce qu’une des magies de la vie, c’est que les frontières sont rarement aussi nettes qu’un mur à la frontière du Mexique. Au contraire, elles sont floues et mouvantes, et les catégories arbitrairement décidées par les humains pour classer les choses se révèlent poreuses. Et avec un peu d’imagination et pas mal de sueur, on peut faire de grandes choses.

GRANDEURS ET DÉSILLUSIONS

En réalité, il n’y a pas une mais plutôt deux ou trois agitations autour des cellules souches. La première concerne les cellules souches embryonnaires. Pour simplifier, plus une cellule souche est immature, plus son potentiel est grand et le nombre de tissus qu’elle est capable de générer également. Et vice-versa. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’un embryon n’est pas quelque chose de mature.

Dès les premiers jours qui suivent la fécondation de l’ovule par le spermatozoïde, l’œuf, la cellule ainsi créée, va commencer à se diviser. Si on extrait une cellule de cet embryon, et qu’on la réimplante dans un utérus, cette cellule donnera un nouvel individu entier, clone du premier, placenta et cordon ombilical compris. On dit qu’elle est totipotente, littéralement « tout pouvoir ». Mais si on attend quelques jours, l’embryon va continuer ses divisions. Les cellules deviennent un peu plus mature, et deviennent pluripotente (« plusieurs pouvoirs »). Autrement dit, elles ne sont plus capables de donner un individu entier, mais tout de même n’importe quel organe du corps. Si bien sûr elle est soumise aux bonnes conditions.Imaginez alors les fantasmes des chercheurs lorsqu’ils ont réussi à isoler et cultiver ces cellules en laboratoire, en 1998. Finie la pénurie d’organes dans les banques de dons ! Bientôt, on sera capable de cultiver des cœurs, des poumons en laboratoire ! Mais la réalité a rapidement repris ses droits. Finalement, ce n’est pas si simple d’utiliser ces cellules. Tout d’abord parce si les embryons naissent dans les éprouvettes, lors des fécondations in vitro (FIV), il faut tout de même demander l’autorisation de leurs géniteurs. Pendant des années d’ailleurs, les recherches publiques ont été bloquées, tant aux États-Unis qu’en Europe, par des gouvernements soucieux de ne pas donner l’impression qu’on pouvait jouer avec des embryons comme avec des Lego.

Pour une fois, le principal obstacle n’a pas été politique, mais biologique. Les cellules souches embryonnaires sont difficiles à maitriser. Si in vitro, les chercheurs ont été capables, petit à petit, de les transformer en plusieurs types cellulaires, comme des cellules musculaires ou des cellules pancréatiques sécrétrices d’insuline, in vivo c’est une autre paire de manches. L’injection de cellules souches au niveau de la moelle osseuse endommagée de certains patients, en espérant que de nouvelles cellules nerveuses se développent, a jusqu’ici donné des résultats mitigés. De plus, même en cas de succès, la greffe de cellules d’un donneur supposerait tout de même la prise à vie d’un traitement lourd d’immuno-suppresseurs, afin d’éviter un rejet. Rejet qui finirait inévitablement par se produire.

CLONES ET CIE

Les cellules prélevées sur la première brebis étaient des cellules mammaires. Je vous laisse deviner en « l’honneur » de quelle partie de l’anatomie de Dolly Parton la brebis a été nommée…

C’est là que la deuxième « vague » de l’espoir des cellules souches entre en jeu. Pour la comprendre, il faut revenir en 1996, au plus célèbre clone de l’histoire : la brebis Dolly. Pour créer un clone, on prend un ovule fécondé, duquel on retire l’ADN. Ce n’est donc plus qu’un sac cellulaire vide, sans matériel génétique. À ce moment-là, on injecte un nouvel ADN dans le noyau de cet ovocyte, disons l’ADN d’une cellule de peau de brebis. Et là un miracle se produit : l’ADN de la cellule de peau, qui a été programmé pour n’exprimer que les gènes nécessaires à une cellule de peau, subit une réinitialisation complète, et devient à nouveau totipotent, capable de donner un nouvel individu. On insémine l’ovocyte dans un utérus douillet et accueillant, et quelques mois plus tard, une nouvelle brebis voit le jour. L’ovocyte, d’une manière encore mal comprise, appuie sur le bouton reset de l’ADN.

La vraie découverte du clonage de Dolly, c’est la possibilité de la reprogrammation de l’ADN de n’importe quelle cellule. Et effectivement, il n’a pas fallu longtemps pour recréer ces conditions en laboratoire. En 2006, une équipe japonaise a réussi, à l’aide de quatre gènes seulement, à déprogrammer complètement une cellule de peau pour la ramener à un stade pluripotent : on les appelle « cellules souches pluripotentes induites ».

Les fantasmes suscités par cette prouesse ressemblent à celle ayant suivi la culture des cellules souches embryonnaires. Le Dr. Yamanaka, à la tête de l’équipe, a même obtenu le Prix Nobel en 2012 pour ses travaux. 8 ans seulement après sa découverte, alors que la plupart des chercheurs attendent des décennies ! De nombreux laboratoires se sont mis à essayer de produire des cellules souches pluripotentes induites. L’avantage immense de cette technique se trouve dans la source de ces cellules. Puisqu’il s’agit d’une cellule lambda, plus de problème de compatibilité. Il suffirait de prendre un bout de peau d’un patient, de le réinitialiser puis de le cultiver dans le milieu approprié et abracadabra, il sortirait de la boîte de pétri un nouveau foie tout neuf, tout à fait compatible !

Enfin, ça c’est pour la fiction, parce qu’on n’en est pas encore là, et de loin. L’inconvénient majeur de ces cellules, à l’heure actuelle, c’est qu’elles sont instables : elles ont la fâcheuse tendance à devenir rapidement cancéreuses. Seule une procédure rigoureuse avec un équilibre subtil du milieu de culture devrait permettre de produire, un jour, des organes sur mesure. Mais pour l’instant, ces cellules resteront dans les labos.

UNE DERNIÈRE POUR LA ROUTE

La dernière catégorie de cellules souches qui attire l’attention du monde de la recherche, ce sont les cellules souches mésenchymateuses. Plus mature que les cellules pluripotentes, elles sont tout de même capables de produire tout un tas de types cellulaires, comme des muscles, des os et du cartilage. On trouve ces cellules dans la moelle osseuse, mais également dans un certain nombre d’organes aussi simples que les amas de cellules graisseuses. En plus de pouvoir les prélever facilement dans le corps (une simple liposuccion suffit), elles sont beaucoup plus stables que les cellules embryonnaires ou les cellules pluripotentes induites, et donc peu susceptibles de développer un cancer. Elles sont également capables de migrer dans le corps, sans qu’on sache vraiment comment, jusqu’au lieu d’une inflammation. Avec un petit coup de pouce et des conditions étroitement contrôlées, elles seraient même capables de se transformer en un type cellulaire non prévu par leur programmation. Et donc, de produire n’importe quel organe.

Alors qu’est-ce qu’on attend ? Encore une fois, les conditions pour contrôler les cellules souches dans le corps humain ne sont pas réunies. De nombreux progrès sont réalisés in vitro, et la science apprend doucement à dompter ces cellules pour qu’elles aillent dans la bonne direction. Mais de nombreuses inconnues persistent in vivo. Une querelle a même éclaté pour savoir si les cellules souches mésenchymateuses sont bien des cellules souches, ou plutôt des médiatrices de cellules souches. Autrement dit, des cellules capables de migrer vers les organes endommagés pour stimuler les cellules souches déjà présentent dans l’organe en question. Autant dire qu’on est encore très loin d’une thérapie cellulaire.

Quant à s’injecter des cellules souches directement dans le corps, en se disant qu’après tout, elles se différencieront bien toutes seules sous l’effet de leur milieu d’accueil, l’idée a fait son chemin. D’après ce chercheur, une médecin a tenté l’expérience sur une de ses patientes, en lui injectant des cellules souches dans les rides pour régénérer sa peau. Quelques jours plus tard, des os avaient poussé à l’endroit de l’injection. Les cellules souches sont des cellules extrêmement puissantes, mais particulièrement capricieuses. Les attentes du public sont immenses, autant que les dégâts qu’elles sont susceptibles de créer.

Laisser un commentaire